Quand je limite mon existence, pour rester tel que je crois être, je marche sur le chemin du malheur.
Deux langues.
Erickson pensait qu’il y avait réellement deux formes d’esprit: l’esprit inconscient et l’esprit conscient. Et que ces deux formes d’esprit avaient, chacune, leurs trains de pensées, leurs valeurs, leurs mémoires.
Et ceux qui parlent deux langues font parfois l’expérience d’une telle dualité, lorsqu’ils réalisent qu’ils n’expriment pas, tout à fait, la même idée, d’une langue à une autre.
« Sur la dune, au milieu du fleuve, j’aperçois les rouleaux de l’océan » n’a pas tout à fait le même sens que « On the dune, at the middle of the river, I glimpse the rollers in the ocean ».
Etrange!
Cela signifie-t-il qu’une idée existe, indépendamment de la langue qui la formule? On peut se demander alors, sous quelle forme elle existe… Et comment elle se modifie cette idée, selon la langue avec laquelle on la formule. Un peu. Ou beaucoup.
Surprenante idée! Si malléable par la langue qu’elle semble s’y confondre et épouser sa structure.
Telles les dunes de sable modelées par le vent.
Alors qu’en est-il de l’idée que tu te fais de qui tu es? De ce qu’est le monde? Comment existe-t-elle, cette idée, à l’intérieur de toi, dans l’attente que tu la formules? On peut se demander si elle existe vraiment.
Ou bien si ce n’est qu’un mouvement de sable de la dune sous le vent.
Mais comme tu peux dire « je suis moi », c’est qu’il y a bien l’idée de ce que tu crois qu’est « moi », lorsque tu dis cela. Sans vraiment savoir si « moi » désigne le sable, ou le vent, ou le mouvement de la dune.
Alors que signifie ce que pensait Erickson sur la dualité de l’esprit inconscient et de l’esprit conscient?
Je suis l’autre.
A la naissance, on naît peu ou prou tel que n’importe quel humain a pu naître, où que ce soit sur terre, et à quelque époque que ce soit. Avec un esprit inconscient semblable à celui de n’importe qui d’autre.
Et rien ne nous empêche d’imaginer qu’en naissant à l’autre bout du monde aujourd’hui, ou ici à une autre époque, nous serions tel que nous sommes déjà. Les mêmes traits physiques, le même « moi », le même inconscient d’origine.
Seul le développement progressif de la conscience, par l’apprentissage de cette langue particulière-là, de cette culture-là, de ces structures sociales-là, nous distinguerait, et radicalement, d’un autre « moi », qui aurait pu apprendre, lui, autre chose.
Et peut-on s’imaginer soi-même, en train de concevoir le monde, en train de se concevoir soi, dans une langue inconnue, et par une autre manière de penser? Quelle drôle de « moi » cela serait et quel drôle d’impression, cette imagination, te donnerait! Vertigineux!
Vertiges.
Vertigineux d’imaginer d’autres existences, d’autres vies, d’autres moi possibles?
Et pourquoi donc?
L’esprit conscient croyait-il être la seule instance qui pouvait dire « je suis moi »? Oublier que ce que tu es, à l’origine, n’est pas pensé consciemment, pas de cette manière-là, ou même jamais pensable? L’immensité des possibles de l’inconscient lui donne-t-il le vertige?
Et ce vertige est un oubli. L’oubli de comment tu as appris ce que tu as appris. Et comment tu en es venu à croire ce que tu crois. Et cela te paraît juste aller de soi. Et tu peux dire: « Je suis qui je sais que je suis, et le monde est, ce que je crois qu’il est. »
Mais le vent souffle et forme le mouvement des dunes, grains après grains.
Et, comme le monde change, l’esprit conscient est condamné, lui aussi, à changer. C’est à dire à oublier ce qu’il est et s’inventer autre, pour continuer de cheminer sur la dune.
Et quel vertige, sur le chemin mouvant de la crête !
Chemins.
Le monde change, lorsque de fils, tu deviendras père. Ou lorsque de fille, tu deviendras mère. Ou d’enfant, orphelin. Ou d’amoureux, célibataire…
L’heure sonnera alors, de t’inventer autre, que celui que tu crois être.
Et comment faire?
Fort heureusement, dans le monde inconscient, celui des possibilités à explorer et des potentialités à réaliser, il existe tout ce qu’il faut pour t’inventer autre. Les mémoires oubliées. Les ressources. Les messages sensoriels ou émotionnels.
Et ton esprit inconscient t’amène à te réinventer, par l’expérience.
Et tu chemines à travers la tristesse, quand une perte exige que tu redéfinisses le lien, avec qui était là, et ne l’est plus.
Et tu chemines à travers l’angoisse, lorsque s’approchent les changements du monde, et que tu ne sais pas si tu es prêt à les vivre.
Et tu chemines à travers la dépression, lorsque quelque chose ne va plus, dans la manière dont tu mènes ta vie.
Et l’esprit inconscient, par les chemins qu’il te fait prendre, t’invite à trouver comment te réinventer. En retrouvant ce « moi », que maintenant, tu ne sais plus formuler.
Là où il y a du sable, et où il y a du vent, pour former de nouvelles dunes.
Et voudrais-tu figer le mouvement, pour tenter de continuer à correspondre à l’idée de ce que tu crois être, que tu marcherais alors, sur un chemin de malheur.
…et heureusement, tu n’y parviens jamais vraiment.
Car ce chemin est un chemin immobile!
Alors que tu changes, physiquement, psychologiquement, matériellement, dans un monde qui change et se transforme avec toi, tu peux te souvenir de tes premiers pas. Ceux qui ont fait de toi un marcheur sur le chemin de l’expérience.
Et toute thérapie est alors de revenir sur ce chemin de l’expérience. De te rappeler qui tu es vraiment: ce marcheur qui crée, au fur et à mesure qu’il l’emprunte, le chemin lui-même.